Comment donner forme à sa réalité ?

Richard Feymann lui-même n’affirmait-il pas que personne ne comprend vraiment la physique quantique ? Une chose est néanmoins certaine, cette théorie, aussi étrange soit-elle, semble bien être la seule à pouvoir expliquer correctement les phénomènes microscopiques. Le consensus au sein de la communauté scientifique ne fut pourtant pas facile à établir tant les implications de ce nouveau paradigme modifie considérablement et définitivement notre façon d’appréhender la réalité. À l’origine de ce bouleversement épistémologique, il y eut d’abord un résultat fondamental qui réside dans la découverte du principe de superposition quantique. L’expérience de pensée la plus connue à ce sujet est celle du fameux chat de Schrödinger qui est à la fois mort et vivant tant qu’on n’ouvre pas la boîte dans laquelle il se trouve. L’information essentielle à retenir ici étant qu’il faut quelqu’un pour ouvrir la boîte. Autrement dit, le constat étrange qu’il faut faire avec la physique quantique, c’est que l’observateur y joue un rôle décisif. Pour être rigoureusement exact, il conviendrait de dire que la position d’une particule élémentaire de la matière est par essence indéterminée et ce n’est qu’à partir du moment où la mesure est finalement effectuée que les états compossibles laissent place à une seule et unique position observable. Ce que l’on comprend donc avec cet effondrement de la fonction d’onde, c’est que la matière, à une échelle suffisamment restreinte, n’est rien d’autre que de l’information qui peut être quantifiée grâce à des outils probabilistes. Jusqu’ici rien d’inintelligible, mais les véritables problèmes commencent à se poser lorsqu’on essaye de traduire ce résultat microscopique à l’échelle macroscopique. Dès lors qu’on tient compte de cette donnée ontologique première, il s’avère, en effet, délicat d’expliquer notre monde sans recourir à des hypothèses farfelues qui autrefois jaillissaient uniquement de l’imagination débordante de quelques adolescents boutonneux. Or, aussi curieux que cela puisse paraître pour les gens sérieux, les univers parallèles et autres histoires de lignes temporelles enchevêtrées ne peuvent plus aujourd’hui être relégués au rang d’affabulations. Bien au contraire, il s’agit là de conjectures dont même les physiciens les plus austères ne peuvent plus faire l’économie.
C’est sur cette base qu’une nouvelle épistémè s’est progressivement imposée dans nos sociétés savantes. Qui plus est, une épistémè au cœur de laquelle le sujet conscient retrouve une place prépondérante, en atteste les désormais célèbres travaux de Roger Penrose et de Stuart Hammerof sur l’esprit quantique. Conséquence de quoi, loin du matérialisme purement déterministe qui avait prévalu depuis le siècle des Lumières, la pensée scientifique d’aujourd’hui puise désormais son inspiration dans ces autres sources philosophiques qui n’avaient pourtant pas connu un grand succès à cette époque de la raison triomphante. Les contemporains fascinés par la physique de Planck seront ainsi bien plus enclins à lire Berkeley plutôt que la critique de la raison pure d’un Kant qui vantait les mérites de Newton, mais dont les réflexions apparaîtront désormais bien trop limitatives par rapport à l’état actuel des connaissances scientifiques. Ce n’est d’ailleurs pas sans une certaine forme de soulagement, voire même, disons-le clairement, de réjouissance que l’on s’adonne à ces lectures jugées risibles par le passé parce que trop ouvertes au-delà des confins de la rationalité du rationnel. Car au fond, la plus grande prouesse de la physique quantique, c’est peut-être d’avoir réussi à réenchanter un peu le monde.
Bien sûr, toutes ces explications servent surtout à rassurer les derniers ultra-sceptiques qui pratiquent encore le doute hyperbolique. Les véritables curieux n’ont pas attendu l’avènement de la physique quantique pour savoir que l’esprit pouvait influencer la matière. Ce qui a pu être considéré comme une découverte faramineuse pour certains n’a été qu’une lapalissade pour ceux qui depuis longtemps étaient déjà familiers avec la pratique d’une certaine métaphysique expérimentale. De fait, il faut bien l’avouer la connaissance de ce lien indéfectible entre la matière et l’esprit a traversé les courants ésotériques et religieux depuis la nuit des temps. Seulement voilà, la science pendant quelques siècles n’en a pas voulu parce que cette intuition tout à fait naturelle laissait trop de place au libre-arbitre. Or, on le sait le scientifique, en principe, aime la rigueur et la régularité de la fatalité absurde. Pourtant, bien avant que le positivisme ne s’impose de manière aussi dogmatique, la pensée était beaucoup plus malléable et autorisait à imaginer des marges de manœuvre pour l’être humain, si ce n’est des possibilités de transfiguration. Beaucoup plus ouverts d’esprit que l’homme moderne, les grands penseurs antiques et médiévaux avaient même réussi à trouver des moyens concrets pour utiliser l’esprit à bon escient et ainsi donner forme à la réalité environnante. Des auteurs comme Hermès Trismégiste, pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres, étaient pleinement conscients de ces phénomènes et savaient parfaitement utiliser la nature informationnelle du réel pour orienter leur destinée et ceux de leurs contemporains dans la direction souhaitée. La table d’émeraude décrit ainsi admirablement, d’une manière certes parfois un peu alambiquée à cause du style poétique de l’époque, comment utiliser simplement la fameuse loi de l’attraction dont tout le monde a déjà entendu parler au moins une fois dans sa vie. Cette loi n’a évidemment rien de magique et fonctionne parfaitement bien à partir du moment où l’on sait l’utiliser correctement. De fait, pour modeler le monde à l’image de la pensée, il suffit simplement de respecter tout au plus quatre grands préceptes qui ont d’ailleurs été très bien énoncés dans leur version contemporaine par le psychologue Carl Gustave Jung et le physicien Wolfgang Pauli dans une magnifique correspondance sur l’a-causalité. En suivant cette méthode à la lettre et avec un peu de pratique, quiconque peut parvenir sans trop d’efforts à faire advenir des bribes de réalité exactement telles qu’imaginées. Par manque de place, je ne les examinerai pas dans ce court texte. Pour l’heure, je conseillerai simplement aux derniers cartésiens, qui continuent de s’entêter avec acharnement, d’aller faire une retraite d’une quinzaine de jours à la montagne, en forêt ou vers n’importe quel autre coin de nature reculé. Le sens de l’intuition s’y exerce sans aucun effort et après plusieurs balades vous verrez peut-être émerger les premières synchronicités qui commenceront à donner à nouveau du sens à votre existence.
mardi 24 juin 1997