Comment changer de nationalité ?

9 novembre 1997
Encore un dimanche maussade. La pluie est tombée sans interruption du matin jusqu’au soir. Accoudé au rebord de la fenêtre, j’ai passé une bonne partie de la journée à mollarder sur le bitume et à fumer des cigarettes tout en écoutant le bruit de l’eau qui ruisselle dans la gouttière débordante. Comme si l’ambiance n’était pas suffisamment cafardeuse, mon voisin du dessus a décidé vers quatre heures de l’après-midi d’écouter en boucle le concerto d’Aranjuez sur son vieux tourne-disque. Cet abruti va finir par me faire haïr détester cette musique alors qu’elle est pourtant si belle ! Les premières notes de cor du deuxième mouvement, me procurent toujours les mêmes frissons. Le vinyle craquelant a tout de même fini par s’arrêter de tourner à l’instant même où j’ai terminé de fumer la dernière cigarette de mon paquet. Mon mégot balancé par la fenêtre a fait des ricochets à la surface d’une petite flaque, éphémèrement traversée par quelques ondes hyper-baudelairiennes. Au moment de refermer la fenêtre, une feuille morte est rentrée puis est venue se déposer lentement sur le parquet automnal. Coup de grâce, la mélancolie est à son comble. Allez ça suffit pour aujourd’hui, au lit.
10 novembre 1997
Le véritable drame du chômeur, c’est que pour lui, les lundis, et les autres jours de la semaine aussi, ressemblent atrocement au dimanche. Voilà ce qu’à peu près je me suis dit quand je me suis réveillé vers onze heure du matin en voyant l’affreux ciel gris qui encombrait déjà inlassablement ma petite fenêtre. Complètement consumé de l’intérieur, j’ai erré toute la journée en toussotant dans le capharnaüm de mon appartement. En me frayant un chemin sur un tapis de fringues sales, je suis passé à plusieurs reprises devant l’évier rempli de vaisselles, sans jamais toucher une seule assiette. L’idée de ranger m’a traversé l’esprit, mais pas la volonté ni la force pour le faire. Pareil pour les sacs-poubelles qui s’amoncellent sur le palier depuis au moins quinze jours. Le vide-ordures me terrifie de plus en plus, je crois que j’ai peur de finir par me foutre dedans. En fin d’après-midi, je suis quand même sorti pour aller chercher des cigarettes et surtout de quoi manger un peu. En arrivant à l’épicerie du coin, j’ai eu l’étrange et soudaine envie de manger une paella À force de fouiller dans les congélateurs de la petite boutique, j’ai réussi à dégoter une portion surgelée que j’allais pouvoir réchauffer au micro-onde. Je n’en avais pas mangé depuis des années et j’avoue que ce goût délicieux de mer et d’épices m’a permis, le temps d’un repas, de sortir de la monotonie. Une légère accalmie, la pluie s’est arrêtée pendant une bonne heure et demie. Puis à nouveau les averses ont repris vers onze du soir. La pluie battante me berce et m’impose de rester assis là, léthargique, sur l’énorme tache de sauce tomate qui trône sur mon canapé. Il est minuit, je fume quand même une cigarette, la première de la journée, ou la dernière de la veille, celle qui, coûte que coûte, me maintient en mort. Blême et tremblant, je me sens vraiment patraque, je crois bien que je vais rester avachi ici pour dormir.
11 novembre 1997
Je n’arrive plus à monter cet ignoble escalier qui me file le tournis. J’en ai assez de ce carrousel de pierres où chaque marche est comme une interminable journée, toujours pareil, identique à la précédente et à celle qui suit. Sur le palier, je croise ma concierge gâteuse qui comme à l’accoutumé me salue d’un léger signe de tête sans dire un mot. Moi qui aurais tant voulu qu’il se passe quelque chose, le début d’une interaction, un mot, un reproche, une engueulade, une bagarre peut-être, une lutte sanguinolente jusqu’à ce que mort s’ensuive, et puis les pompiers, la télé, le fait divers, l’événement extraordinaire. Pas pour aujourd’hui en tout cas. Je vais devoir me contenter d’un banal hochement de tête. Et quel ennui m’attend encore de l’autre côté de la porte ? Le désastre de la solitude qui s’est emparée définitivement de l’appartement sombre et sinistre. Heureusement, la télévision a été inventée. Elle me tient compagnie et elle au moins, elle reste. En secret, le soir, je lui parle un peu. Quand elle pose des questions, je lui réponds, et je lui souhaite bonne nuit avant de l’éteindre. Ce soir, elle m’a gâté avec un reportage tout bonnement incroyable sur l’Andalousie. Pour le coup, je suis resté scotché devant le petit écran, fasciné par cette architecture mauresque, ces fiers toréadors qui frôlent la mort et puis aussi la prestance de ces grandes dames qui dansent en claquant des talons. Malheureusement, je n’ai pas pu regarder jusqu’au bout, car j’ai été pris vers dix heures d’une douleur lancinante à la poitrine qui n’a cessé depuis et qui m’oblige maintenant à aller me coucher.
12 de noviembre 1997
No sé lo que ocurrió durante la noche, pero cuando me desperté hoy, pues resultó que pensaba y hablaba así, o sea en español. Intenté llamarle al médico un par de veces, pero, por supuesto, la secretaría no entendió ni una sola palabra de lo que le estaba contando. ¡Menuda mierda! ¿Y ahora, qué haré yo con esto? La verdad es que estoy completamente jodido, aún más de lo que ya estaba. Ojalá se vaya como ha venido... A ver cómo van evolucionando las cosas. De lo contrario, no tendré más remedio que emigrar e irme a España. Bueno, pensándolo bien, no suena tan mala la idea. ¡Adiós Normandía, con la lluvia tuya y la maldita melancolía esa que mató a nuestra querida Emma, pobrecita! Por mi parte, yo me voy para siempre al sol, ¡olé!
mercredi 12 novembre 1997