cloud banner

Comment changer de monde ?

undefinedimage

Allô, oui, je suis bien au service des réclamations ?

  • Tout à fait Monsieur, en quoi puis-je vous aider ?

  • Bon alors voilà, je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout satisfait de la qualité du monde dans lequel il m’a été donné de vivre. J’aurais aimé en changer, prestement !

  • Je regrette sincèrement que vous en soyez déçu Monsieur, mais malheureusement nous ne faisons pas les échanges.

  • Comment ça, vous ne faites pas les échanges ? Écoutez, c’est intolérable !

  • Désolé Monsieur, mais nous avons une politique stricte à cet égard qui stipule explicitement qu’aucun retour n’est possible. D’ailleurs, pour être tout à fait honnête avec vous, il n’y a pas vraiment de produit de substitution.

  • Non mais vous plaisantez j’espère ! Vous avez vu le nombre de malfaçons. Venez, véritablement, je vous invite à descendre pour constater par vous-même tous les défauts de fabrication qui rendent invivable le quotidien, et je pèse mes mots. Tout ça là, les inégalités, la violence, les maladies et j’en passe et des meilleures ; vous n’allez quand même pas me dire que c’est normal.

  • Toutes les clauses concernant les malfaçons sont pourtant spécifiées en toute lettres dans le contrat Monsieur.

  • Non, écoutez, j’ai relu les documents ce matin-même avant de vous appeler et, en aucun cas j’ai trouvé un seul paragraphe faisant mention de pareils dysfonctionnements. Faudrait quand même pas prendre les consommateurs pour des imbéciles.

  • Tout est pourtant écrit noir sur blanc Monsieur. Tenez à la page 48, alinéa 22, dans les dispositions spécifiques relatives aux maux de l’humanité : « Dû à la limitation essentielle propre à toute création, le monde comporte une part inhérente de malheur pouvant s’exprimer sous des formes diverses et variées. Pour des raisons évidentes de manque d’espace disponible, les conditions de vie sur terre sont fortement susceptibles de se dégrader à mesure que la population croît. Les utilisateurs pourront potentiellement être confrontés à des épisodes ponctuels ou durables de famines, d’épidémies et autres catastrophes naturelles. À titre indicatif, la liste non-exhaustive des fléaux comprend entre autres : les séismes, les raz-de-marée, les éruptions volcaniques, les avalanches, les tremblements de terre et les ouragans. Pour des raisons similaires à celles susmentionnées, l’utilisateur sera égaleme,t, à l’échelle individuelle, amené à expérimenter le passage du temps. Au cours de son existence, il sera en proie aux maladies, aux accidents, à la dégénérescence et au vieillissement naturel de manière à assurer, in fine, une mort certaine pour chaque individu. D’autre part, dans un souci d’éclectisme, l’utilisateur devra s’accommoder de différentes sources d’inégalités auxquelles il sera nécessairement soumis, et ce, au gré du hasard et en fonction de la plus ou moins bonne gestion qui peut être faite du libre-arbitre. Enfin, aucune garantie ne peut être apportée quant à l’état du monde après sa livraison. Les êtres humains disposent d’une responsabilité propre qui les engage aussi bien individuellement que collectivement. Seuls ou à l’échelle d’une société, les dommages causés par leurs agissements leur sont entièrement imputables ». Vous voyez, c’est écrit. En tout petit, mais c’est écrit.

  • Ça alors c’est la meilleure. Ah vous ne manquez pas d’air ! Non mais franchement, c’est à peine lisible. Et puis vous savez très bien que personne ne lit toute la paperasse. Moi j’ai vu votre publicité où tout était rayonnant, les oiseaux qui chantent dans les bois et les tribus qui dansent autour du feu, alors je me suis emballé. Comme tout le monde, j’ai paraphé les pages sans vraiment lire. Quel naïf, je me suis encore bien fait rouler.

  • Vous m’envoyez désolée, mais c’est bel et bien vous qui avez inscrit « lu et approuvé » sur la dernière page, attestant par la même que vous avez signé en toute connaissance de cause.

  • Mais enfin vous auriez pu me prévenir à l’oral. En toute connaissance de cause… Je vous en foutrais moi tiens des connaissances de cause !

  • Je vous en prie Monsieur, restez poli ! Je vous indique d’ailleurs que cet appel est susceptible d’être enregistré pour évaluer la qualité de nos services.

  • Mais enfin merde, admettez quand même que ce sont de drôles pratiques ! Qu’est-ce que je fais-moi maintenant avec ça. Tout va rester exactement en l’état ou bien on peut quand même espérer quelque chose ?

  • Non, rassurez-vous, nous nous évertuons sans cesse afin d’améliorer la qualité de notre produit grâce à un processus de création continuée. Avec votre licence à vie, vous bénéficierez toujours des dernières mises à jour.

  • M’est avis qu’on n’a pas le même sens du progrès. Non mais là franchement, vous vous fichez du monde, pardonnez-moi l’expression. Attendez, ça ne fait qu’empirer. Vous écoutez un peu la radio comme moi de temps en temps ?

  • Effectivement, je ne vous cache pas que nous expérimentons quelques problèmes techniques ces derniers temps. Mais je peux vous assurer que nos ingénieurs travaillent d’arrache-pied pour corriger au fur et à mesurer l’ensemble des bugs qui nous sont rapportés.

  • Vivement la prochaine version du monde, je vous le dis !

  • Monsieur tout ce que je peux vous dire, c’est que le monde que nous vous offrons est le meilleur des mondes possibles. Vous n’imaginez pas le tri qu’on doit faire en amont pour essayer de dénicher le monde optimal qui conviendra au plus grand nombre.

  • Optimal, mon cul !

  • Écoutez monsieur, nous aimons rester toujours à l’écoute de nos clients alors si vous avez une quelconque piste d’amélioration à me soumettre, je me chargerai de faire remonter l’information auprès de la direction. -…

  • Monsieur, vous êtes toujours là ? Monsieur ?

  • (clic)

  • Alors, tu les as eus ?

  • Oui, je les ai eus.

  • Et… Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?

  • Devine ! Ils peuvent rien faire. Pas d’échange, que dalle. Ah ils sont gonflés, je te jure. C’est limite s’ils te demandent pas bientôt d’avoir des idées à leur place pour régler les problèmes. Si c’est pas malheureux d’entendre ça !

  • C’est pas vrai ! Tu les as engueulés quand même ?

  • Non, j’ai raccroché. Qu’est-ce que tu veux, on s’est fait rouler pis c’est tout…

lundi 13 avril 1998