Comment ressusciter ?

Bon sang, mais qu’est-ce qu’il fabrique ? Ça fait une plombe qu’on l’attend... Ah ! C’est pas trop tôt. Mais qu’est-ce que tu foutais ?
- Salut tout le monde, excusez-moi du retard ! Oups, pardon, je m’installe ici. Désolé, j’ai eu un gros pépin en chemin. Je me suis pris une aile dans la branche d’un sapin et je suis resté coincé pendant un bon quart d’heure. Bref, je vous épargne les détails, l’essentiel, c’est que je sois là.
- Bon et bien, puisque tout le monde est là, je suppose qu’on peut commencer cette séance exceptionnelle. Qui préside ?
- Vu que c’était moi la dernière fois, ça doit être au tour d’Haraël…
- Très bien, alors Haraël vous avez la parole.
- Oui, donc l’heure est grave mes chers confrères. Alors pour vous la faire courte. Notre petit protégé, a voulu doubler mémé qui n’avançait pas à bord de sa Honda Civic toute cabossée. Sauf que voilà, sur la route d’en face, une estafette… Je ne vous fais pas de dessin, je pense que vous avez compris le tableau. Carambolage terrible, la tôle froissée, les pompiers, enfin tout le tintouin. Grâce à l’intervention de notre compère Mehiël ici présent, les dégâts corporels irrémédiables qui devaient normalement arriver ont été miraculeusement évités. Verdict : commotion cérébrale sévère ; notre ami Quentin est entre la vie et la mort à la Salpêtrière. Alors comme d’habitude dans ces cas-là, la question se pose là : qu’est-ce qu’on fait du cas Quentin Sartais ? Si je ne m’abuse, Omaël c’est toi qui es allé chercher le dossier aux archives, donc si tu peux nous faire une petite rétrospective, rapide hein, pas comme la dernière fois où ça a traîné pendant une éternité. Juste quelques points de repère en somme, pour qu’on puisse délibérer tous ensemble.
- Si on est pressé… Biographie expresse donc : Quentin Sartais, né le 2 août 1983 à Juvisy-sur-Orge de Partice Sartais et Florance Sartais née Duclos. Enfance bonne sous tout rapport, Quentin est élevé au sein d’une famille aimante et protectrice qui lui inculque de bonnes valeurs. Il grandit sans commettre le moindre péché, exception faite de quelques mensonges d’importance mineure, et ce, jusqu’à son arrivé au Collège. À partir de là, comme pour beaucoup, ça se gâte. Changement hormonal oblige, l’adolescence ne sera pas sans laisser de traces, sans mauvais jeux de mots bien sûr. Dans le cas de Quentin, on arrive quand même à des chiffres qui dépassent la moyenne, puisqu’on est à huit masturbations par jour au moment du pic de testostérone. Je vous laisse imaginer l’état des chaussettes… Jusqu’ici rien d’exceptionnel, vous me direz. Certes, mais arrivé au lycée, les choses commencent à se compliquer drastiquement. Quentin, qui, il faut le dire, a la tête bien faite et bien pleine, fait sensation auprès de ces petits camarades. Il nourrit alors progressivement un ego qui devient rapidement surdimensionné. Fasciné par sa petite personne, Quentin n’hésite pas à se persuader d’être plus malin que ses copains. Côté sentimental alors là, c’est le drame, il commence à tromper sa première petite amie, une certaine Justine, jugeant qu’il mérite mieux sous prétexte que celle-ci, charmante au demeurant, porte encore, en dépit de ses 17 ans, un appareil dentaire.
- On peut savoir pourquoi vous riez les deux-là, Mehiël et Solaël ?
- Non rien, on disait, quand même du fer sur les dents…
- Et bien quoi du fer sur les dents ?
- Ça doit rayer le casque…
- Désopilant. Bon maintenant qu'on s'est bien amusé, si vous le voulez bien, je vous propose de continuer. Allez-y, poursuivez Ariël.
- Euh moi, par contre, c’est Haraël… Enfin… Oui, peu importe après tout. Donc oui, une trahison qui sera malheureusement la première d’une longue série. Par la suite, le schéma va se répéter inlassablement de ses dix-huit à trente ans. Notre ami Quentin, va tromper successivement Maeva, Joséphine, Juliette, Aurore, Margot, Zoé, Léa...
- Et cetera...
- Et cetera ! Tout à fait, pardon. Donc Quentin semble-t-il est persuadé que toutes ces femmes ne méritent pas son amour. Car au fond, le seul qu’il aime véritablement, c’est lui-même. Au travail, c’est pareil, il méprise régulièrement ses collègues. Il se vante sur tout un tas de sujet, notamment son succès auprès de la gent féminine. Pas besoin de m’étendre davantage sur ce point, de toute façon, vous connaissez le personnage aussi bien que moi, je présume. J’en viens donc à un moment charnière de l’existence de Quentin : le mariage. En dépit de son côté coureur de jupon, notre grand narcisse finit quand même par se caser avec une dénommée Doriane. Grâce à cette jolie demoiselle, Quentin, on peut le dire, s’assagit et se stabilise. Dans l’ensemble, on peut conviendra qu’il se comporte plutôt bien avec elle, tout du moins au départ. Ceci étant, à partir du moment où il s’engage avec cette jeune fille, il délaisse, presque du jour au lendemain, sa famille, alors qu’il avait entretenu avec eux jusqu’ici des liens d’amour sincères et indéfectibles. Quentin est dans le tourbillon de la vie active, il est obnubilé par sa carrière et la réussite professionnelle. Il passe le peu de son temps de libre avec sa femme qu’il chérit ainsi qu’avec les quelques amis qui s’accrochent à lui malgré sa mégalomanie grandissante. Le basculement s’opère finalement après quatre années de vie commune lorsque le père de Quentin décède brutalement à la suite d’un infarctus. À partir de cet événement tragique, notre Quentin change en profondeur. Larmoyant et mutique pendant plusieurs mois, il fait son deuil en s’administrant une surdose de travail qui lui permet d’oublier partiellement l’ombre de son père qui plane au-dessus de sa tête. Un an après le choc de l’effondrement de la figure paternelle, Quentin, bien moins narcissique qu’auparavant, développement cependant des comportements qu’on pourrait qualifier d’agressifs à l’égard de ses amis, mais surtout aussi envers sa compagne qu’il tient inconsciemment pour responsable de l’éloignement d’avec sa famille. Les agissements de Quentin, sans qu’ils soient pour autant d’une grande violence, ont une incidence importante sur la vie de son entourage. Doriane, pour ne prendre qu’un exemple, pleure énormément en cachette. Elle voudrait partir, mais il est trop tard. Elle est enceinte. Lui-même semble en souffrir d’ailleurs, mais peine à contrôler ses travers. L’absence définitive de ce père qu’il avait tant aimé et à qui il devait tout, lui a fait perdre le goût et la confiance envers la vie. Obsédé par le fantôme de son père, Quentin est tantôt froid et distant, tantôt nerveux et insolant, une instabilité émotionnelle qui est notamment à l’origine de sa conduite dangereuse et qui explique l’accident qui nous rassemble aujourd’hui. Voilà dans les grandes lignes, le bilan de Quentin.
- Heureusement qu’on avait dit de faire court, enfin, très bien, merci Haraël pour cette intervention. Alors les autres… Des avis sur le cas Sartais?
- Sacré connard le Quentin quand même…
- Je reformule ma question, des avis CONSTRUCTIFS sur le cas Sartais
- Ah, c’est sûr, on est pas sur du destin de grand sage ni de martyre. Après bon, côté positif, il y a quelques bons trucs. Au début, ça s’est bien passé. Avec la famille ça a quand même toujours plus ou moins été. Et puis là sur la fin, y a quand même une légère prise de conscience, comme une volonté de changer. Il contrôle que dalle, mais, dans le fond, il voudrait bien changer, donc les dernières intentions sont bonnes.
- Non d’accord le tableau est pas tout noir. Mais il a quand fait des sérieux dégâts sur son passage. Vous avez vu l’état de son ancien collègue Olivier ? Le pauvre type est sous Lexomil du matin au soir. La dernière fois que je suis descendu le voir ça m’a fendu le cœur, vraiment !
- Après d’un point de vue strictement conséquentialiste, il y a pas que du mauvais. La brochette de nanas éconduites, elles se portent plutôt bien maintenant. Et après s’être farci le Quentin, elles ne se sont plus jamais trompées sur la marchandise.
- Et Joséphine alors, elle compte pour du beurre celle-là ?
- Oui, c’est vrai y a Joséphine qui elle aussi est dans une piteuse état…
- Bah oui, y a Joséphine, il me semble ! Quinze ans après, elle est encore complètement traumatisée la pauvre gosse, toujours là à chouiner comme une madeleine sur les photos du bellâtre. Bon, c’est partiellement de sa faute, vous me direz...
- C’est sûr que c’est pas glorieux. Mais, y a pire, et au final notre Quentin, moi, je vous le dis, il est pas si loin de la norme !
- Sans compter que niveau signes et avertissements, faut dire aussi que nous de notre côté, on lui a pas donné grand-chose à bequeter.
- Ah bah si quand même attends, je suis désolé, la synchronicité dans la salle de bain de la petite Léa. Il était en train de s’admirer à poil devant la glace et je lui ai fait poser le pied sur un Lego du petit frère. Ah, il a plus gémi que trente minutes auparavant, ça, je peux vous le garantir !
- Et ? Quel sens pour lui ?
- Bah l’ego ! Lego, l’ego. Mais il a pas capté je crois..
- Non mais forcément si faut compter sur les jeux de mots péraves d’Yzalël. Tu m'étonnes que le gamin il s'en sorte pas...
- Attends, qu’est-ce que t’as dit là ? Répète ! T’as qu’à les faire toi les synchronicités si t’es si malin. Ô, avec toi, faut s’attendre à du haut vol, ça c'est sûr ! Comme la fois où on t’a chargé de rattraper l’autre con qu’était parti fumer sa clope au balcon du treizième étage. Le jour de la Chandeleur en plus ! Ah bravo, j'applaudis à quatre mains ! Très réussie la crêpe !
- Fais gaffe à ce que tu dis mon petit pote parce que je suis à deux doigts de te coller une trempe.
- Vas-y gros chérubin, je t’attends, encore faut-il que t’arrives à te lever d’ta chaise.
- Silence bordel ! Mais vous allez là fermer oui ou merde. Toi, tu ne vas rien coller à personne puisqu’au cas où vous auriez oublié les gars, vous n’êtes même pas matériels, et puis toi, c’est vrai aussi qu’il serait peut-être temps d’envoyer des messages un peu plus clairs. Comment vous voulez qu’ils s’en sortent les mecs avec des clampins pareils, merde !
- Bonjour l’ambiance en tout cas.
- Bah oui, bonjour l’ambiance, mais mettez-y un peu du vôtre aussi. Bon et puis allez là ! On a pas que ça à foutre non plus. Alors, verdict ! Ceux qui sont pour, lèvent le doigt ? Deux, quatre, six… Égalité. C’est pas vrai, faut toujours que vous me fassiez chier jusqu'au bout. C’est pas possible ça... Bon, qu’est-ce qu’on fait déjà dans ces cas-là ?
- Normalement dans ces cas-là Ézéchiel... C’est toi qui es censé trancher.
- Oublie pas la petite qui a un polichinelle dans le tiroir... Elle vient d’arriver à l’hôpital, elle est dans la salle d’attente, les médecins veulent pas la faire entrer dans la chambre de Quentin.
- Bon de toute façon, il est pas mûr. On le renvoie. L’affaire est close !
- Comment on procède alors chef ?
- Comment ça, comment, on procède ? Comme d’habitude. Vous lui faites parler un peu avec l’âme de son père, on lui flanque une bonne trouille, on lui dit qu’il est pas prêt, et puis on le ramène sur terre.
- Oui, mais qui le ramène ? Parce que moi après je peux pas, j’ai un rendez-vous en Haut Lieu…
- Ah oui, c’est vrai, on m’a prévenu. Vous filez du mauvais coton vous en ce moment. Faites gaffe, il va finir par vous arriver des bricoles à vous, je vous le dis...Bon. Donc Nanaël, vous allez me chercher le père
- C’est bon, je l’ai prévenu. Il est en chemin. Il devrait arriver d’une minute à l’autre.
- Parfait. Haraël vous, vous chargez de lui foutre les jetons.
- Logique !
- Très drôle, vraiment plus le temps passe et plus nous tous ici, on apprécie ton sens de l’humour aiguisé !
- Oh eh, ça va, si on peut plus rigoler…
- Bon dites tous les deux… Vous voulez accompagner votre collègue à son rendez-vous au Sommet ? Non ? C’est ce que je pensais. Donc je reprends. Ça sera vous Omaël qui raccompagnerez le jeune homme après notre petit bilan. Justement, tenez-vous prêt, on va le réceptionner, il va bientôt sortir du tunnel. Et cette fois-ci, tout le monde pense bien à faire briller son auréole au moment de l’arrivée du petit, hein, que ça ait un minimum de gueule quand même !
jeudi 20 mai 1999